vendredi 30 août 2013

IMPETUS

Aujourd'hui, je vais vous parler d'un jeu auquel je n'ai pas joué, et auquel vous ne jouerez jamais, car il n'existe plus. Un jeu éphémère, conçu en quarante-huit heures, mort moins d'un jour après sa naissance. L'occasion de vous ressortir mon laïus usuel sur le jeu comme forme d'art et sur les limites troubles du mot même de "jeu".

Mais d'abord, un peu de contexte ; j'ai déjà mentionné ici les Ludum Dare ; il s'agit d'un concours pluriannuel de jeux vidéo organisé depuis 2002, dans lequel, pour être accepté, un jeu doit :
  • respecter le thème du concours, différent à chaque fois ;
  • être intégralement développé pendant le week-end du concours.
Chaque itération est donc l'occasion de découvrir des petits jeux courts et ingénieux. Le week-end dernier, c'était la vingt-septième édition (affectueusement surnommée LD27). Le thème était "10 seconds" ; l'un des jeux, IMPETUS.




Le concept d'IMPETUS est simple. Vous vous rendez sur la page du jeu, et vous voyez une image d'une femme, en tenue d'astronaute, celle de l'image d'illustration de cet article. Le texte sur la gauche vous explique que les systèmes la maintenant en vie sont en rade, et que sa mort est inévitable. En dessous, un compteur, parti de dix secondes, égrenant le temps qu'il lui reste à vivre. Et en dessous, un gros bouton "CLICK TO KEEP ALIVE".

Le temps que vous compreniez, le compteur est déjà presque à 0. Mais alors que vous vous précipitez pour cliquer, le compteur revient à 10 secondes, de lui-même : quelqu'un, quelque part dans le monde, a cliqué avant vous pour la maintenir en vie. Et c'est là que vous comprenez : vous n'êtes pas en train de jouer à votre partie, mais vous jouez, en coopération avec le reste du monde, à la seule et unique partie d'IMPETUS, pour maintenir en vie le plus longtemps possible la seule et unique astronaute...

Hier, quand j'ai découvert ce jeu, elle était déjà morte. Un problème sur le serveur, victime du succès du jeu, a rendu la page inaccessible quelques minutes. La page du jeu n'affiche donc plus, et n'affichera jamais plus que l'écran de game over. Le jeu ne sera jamais réinitialisé. C'était la seule partie. Grâce à 89011 clicks, elle aura vécu 42351 secondes.




Post-mortem, si j'ose dire ; qu'en retenir ? Déjà, est-ce qu'IMPETUS est réellement un "jeu" ? Peut-on parler de jeu s'il n'est pas possible de gagner ? Est-ce que n'avoir qu'un unique bouton n'en fait pas quelque chose de trop simple pour qu'on parle d'interactivité ou de gameplay ?

En trois mots : oui, oui, non. Je m'explique. Prenons l'exemple des "jeux de distance". Regardons Canabalt, Temple Run, Escape, Solipskier, Robot Unicorn Attack, Pacman, Asteroids... Dans tous ces jeux, la mort est inévitable. On ne peut gagner. Tout ce qu'il est possible de faire, c'est d'avancer, avancer, et avancer encore, pour retarder le plus possible la fatale échéance. Certains de ces jeux ne se jouent même qu'avec un seul bouton, comme Canabalt ou encore Escape. Bien sûr, ces jeux misent sur la volonté de battre des records, de faire mieux que la fois d'avant, de faire mieux que les autres, ce qui implique de rejouer. Mais n'en sont-ils pas moins des jeux si l'on n'y joue qu'une seule fois ?

D'autre part, IMPETUS n'est qu'une simulation. Personne n'est mort à l'issue de ce jeu. Le personnage n'est qu'un leurre, qu'un joli dessin à l'apparence humaine, jouant sur notre empathie pour créer de l'émotion là où il n'y a finalement qu'un simple compte à rebours. Le mécanisme même du jeu, une fuite en avant face à une mort inéluctable, est une métaphore pessimiste de la vie... Bref, sans rentrer dans le débat de la définition de l'Art, il me paraît incontestable qu'IMPETUS en est une œuvre.

Par ailleurs, je trouve très amusant que ce soit l'acharnement des joueurs du monde entier à la sauver qui ait, au final, causé sa mort... Mais il s'agit là de symbolique "émergente", qui ne résulte pas d'une volonté propre de l'auteur (mort de l'auteur, tout ça).

Oh, et si vous voulez en savoir plus, l'auteur a écrit un long texte racontant tout ce que je viens de dire et plus encore, c'est passionnant.

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