vendredi 26 août 2011

Braid

Braid est un jeu indépendant assez révolutionnaire sorti en 2008, développé et financé par une seule personne, son créateur atypique, Jonathan Blow. De prime abord, il peut sembler assez classique dans sa construction : c'est un jeu de plate-forme 2D dans lequel on tue les ennemis en leur sautant dessus, dans lequel on ramasse des pièces de puzzle, dans lequel une maison sert de portail entre les différents mondes... Même l'histoire, telle qu'on la devine au début, a un certain goût de déjà-vu : le héros est à la recherche d'une princesse enlevée par un méchant...

Mais malgré tout, dès le début, avant qu'on ne perçoive toute la subtilité du jeu, Braid déstabilise. Le jeu s'ouvre sur l'image ci-dessous. Pas de menu, juste une ville en flammes dans le style "peinture" du jeu. Le premier monde est numéroté 2. Dès le départ, tout est étrange.


Et déstabilisé, on l'est encore plus lorsqu'on découvre le gameplay. Dans Braid, pas de difficulté technique, pas besoin de réflexes, pas d'épreuves insurmontables. Par contre vos neurones vont souffrir. Tout le jeu repose sur la manipulation du temps et sur la multiplicité des timelines ("braid" signifie "tresse" en anglais), et l'auteur a pris un malin plaisir à augmenter au fur et à mesure la complexité des concepts à assimiler.
 
Dans le premier monde, vous ne percevez qu'une seule timeline : celle du héros, Tim. C'est celle que tout le monde comprend intuitivement dans un jeu. À tout moment, en appuyant sur une touche, vous pouvez vous déplacer sur cette timeline et faire remonter le temps à Tim, le faisant revenir à n'importe quel moment de son passé dans le niveau ; bien sûr, l'environnement remonte lui aussi dans le temps : les ennemis reculent, les ennemis morts réapparaissent... Vous reprenez juste le jeu tel qu'il était quelques instants plus tôt. Cette capacité vous confère une pseudo-invincibilité : si vous mourrez au contact d'un ennemi, il vous suffit de revenir juste avant la collision.

Le deuxième monde vous fait percevoir une seconde timeline : la vôtre, à vous, le joueur. Certains objets du décor, distingués des autres par une aura verte, suivent le temps tel qu'il s'écoule dans la timeline réelle, la vôtre, et non tel qu'il s'écoule dans celle de Tim... Explication par l'exemple : Tim ramasse une clef verte, une clef dans votre timeline. Si Tim remonte ensuite dans le temps et retourne à un moment de son passé, il gardera la clef avec lui : l'événement "Tim ramasse la clef" est dans votre passé, quand bien même il s'agit maintenant du futur de Tim ! Prenons comme autre exemple une porte "verte" fermée à clef que vous ouvrez avec une clef ordinaire à usage unique ; si vous faites reculer la timeline de Tim, il retourne à un moment de son passé où il tient une clef encore intacte, mais la porte verte est restée ouverte... Pire encore, certaines surfaces vertes font passer temporairement Tim lui-même dans votre timeline, permettant de faire reculer le monde sans que Tim ne bouge...


Vous êtes perdus ? Ce n'était que le deuxième monde... Chacun des quatre autres mondes introduit un autre concept qui lui est exclusif. Dans le troisième, la timeline du monde (et donc des ennemis et des objets) n'est pas liée à celle de Tim, mais à sa position : plus vous avancez vers la droite, plus le temps s'écoule, plus vous retournez vers la gauche, plus le temps se rembobine... Dans le quatrième, à chaque fois que Tim revient en arrière dans le temps, son ombre refait tout ce que vous venez d'annuler (et peut agir bien sûr sur des objets colorés qui sont ancrés tant dans le monde que dans la réalité alternative de l'ombre). Le suivant vous dote d'un anneau qui ralentit localement le temps...

Bref, un gameplay très très riche, porté par un style fantastique. Les décors peints sont splendides, les musiques adaptées, les effets temporels jolis... Même si ce n'est pas le plus important dans ce jeu, on apprécie vraiment le travail réalisé par David Hellman, le graphiste. En comparaison, les images de la version de développement du jeu piquent un peu les yeux.

Détail amusant, le jeu fait de nombreuses références à l'univers Mario, notamment dans les dialogues de fin de niveau (c.f. image ci-dessous). Enfin, amusantes, elles ne le sont qu'à la première lecture... En effet, elles font partie d'une seconde lecture, suggérée en filigrane tout au long de l'histoire : Braid est en réalité une déconstruction du jeu de plate-formes, un peu au même titre que Watchmen vis à vis des super-héros.


Mais difficile d'en dire plus sans gâcher l'histoire. Car oui, contrairement à ce qu'on peut croire au début, ce jeu est très travaillé de ce point de vue. Mais le scénario reste malgré tout le point faible du jeu : on peut jouer pour le plaisir en ignorant royalement toutes ces lignes de texte au début de chaque niveau sans y perdre grand chose au final. En plus, comme dans beaucoup de jeux indépendants (vite accusés de prétention), l'histoire éthérée de Braid est tant complexe que racontée de manière déconstruite (surtout vers la fin), donc sujette à controverses au sujet des multiples interprétations possibles ; difficile d'y rentrer lorsqu'on joue pour se détendre...

Toutefois, ça vaut le coup de suivre au moins les très grandes lignes pour pouvoir profiter du fantastique twist final qu'est le dernier monde. Un très très grand moment de jeu vidéo, génial à jouer, et qui estomaque. Ce qui est très fort, c'est qu'il ne s'agit pas d'une révélation lapidaire qui renverse la perception qu'on a d'un personnage en une phrase, type "je suis ton père" : c'est vraiment un niveau entier du jeu qui, par son déroulement, délivre dans la progression un message nouveau, une autre lecture de l'histoire.


Braid est donc vraiment un jeu atypique ; une atmosphère splendide, un scénario intriguant à la technique de narration innovante, une déconstruction cachée des jeux de plate-formes, un gameplay très riche... Il ne manque pas grand chose pour en faire un jeu parfait. Seule ombre au tableau : le temps, paradoxalement. Le jeu est trop court, mais aussi trop long. Trop long : pour accéder au dernier monde, il faut réussir à ramasser toutes les pièces de puzzle du jeu. Elles ne sont pas très nombreuses, mais certaines énigmes sont tellement tordues qu'on regrette parfois de ne pas pouvoir y revenir après la fin du jeu. Trop court : une fois les six mondes terminés, il n'y a (presque) plus rien à faire, on a fait le tour du jeu en quelques heures, on voudrait bien un peu de rabiot.

Le jeu était inclus dans les deuxième et troisième Humble Indie Bundle. Il est maintenant sur Steam pour moins de dix euros. Plus d'infos et un chouette trailer sur le site du jeu !

2 commentaires:

  1. Je ne peux qu'être d'accord : Braid est un jeu fabuleux, quoiqu'un peu court. 4h pour le finir, mais quelles heures !

    Sinon, tu parles du dernier niveau et du meta message, mais as-tu aussi vu le message qu'on peut lire en filigrane dans les livres, et qui relie l'histoire à l'écran titre ?

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  2. Je crois, mais tu me fais douter. Envoie-moi un mail. :)

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