vendredi 4 novembre 2011

Polisse

Je suis allé voir Polisse mardi dernier avec Chipsette, et j'en suis sorti assez chamboulé... Ce film mérite bien tous les superlatifs dont il a été qualifié. Techniquement, il se présente un peu comme un docu-fiction : les acteurs retranscrivent des anecdotes authentiques tout en déroulant une trame fictive. Pendant deux heures, le film suit le quotidien d'une équipe de la brigade de protection des mineurs, en jouant sur les deux tableaux vie privée / vie professionnelle et en soulignant la difficulté des personnages à clairement séparer les deux.

  
La façon dont le film est réalisé est assez bluffante. Il est dur au début de croire qu'on n'est pas dans un documentaire, que les situations filmées ne sont pas de vraies interviews, qu'une vraie caméra n'est pas dans les locaux pour faire un reportage sur l'équipe... Cette impression est renforcée par une subtile mise en abîme scénaristique : le personnage qu'incarne Maïwenn (par ailleurs la réalisatrice du film) est une timide photographe envoyée par le ministère de l'Intérieur pour prendre des photos de cette équipe de la BPM. Pendant presque tout le film, elle observe silencieusement et photographie froidement l'équipe pendant son travail, équipe qui se méfie d'elle et ne l'apprécie que peu. La méfiance des acteurs face à cette intrus dans leur travail de tous les jours est à mes yeux un élément clef de ce qui fait le film ce qu'il est. Les acteurs sont de plus absolument fantastiques. C'est joué à la perfection.


D'autre part, ce statut hybride permet d'en faire un film engagé mais sans message, en quelque sorte ; bien sûr, comme il s'agit de fiction, le message qui en ressort est celui voulu par la réalisatrice... mais on est plus dans l’observation brute. La multiplicité des opinions et les désaccords profonds entre personnages font qu'on prend les opinions énoncées avec le grain de sel usuel d'un documentaire : « c'est son opinion, ça n'engage que lui ». Et le film illustre souvent différents aspects d'une même situation, contribuant là à une certaine objectivité de la présentation. Il ne faut bien sûr pas se leurrer, le film penche quand même dans une certaine direction ; certaines scènes moins fines le laissent transparaître. Mais ça reste néanmoins  une approche intéressante.


Fidèle à cet aspect brut, le film est très décousu et alterne de manière parfois abrupte les scènes persos / pros. Cas et enquêtes sont traités au fur et à mesure, et peu participent réellement à la trame globale ; cette trame, c'est la vie de l'équipe. Entre les problèmes des couples, les jalousies, les incompréhensions, l'effort... Au final j'ai trouvé que le film suit là encore le personnage en abîme de Maïwenn : plus le film progresse et plus elle trouve sa place dans l'équipe ; et j'ai trouvé que plus il avançait et plus il ressemblait à un film et non à un documentaire. Comme si une fois cette distance entre observateur et observé franchie on arrivait à quelque chose de plus intime, de moins factuel. De plus humain, en somme.


Toutefois, une question nous a fait beaucoup réfléchir sur le trajet du retour post-film. De manière brute : à quoi ce film sert-il ? On ne peut pas le qualifier de distraction, à moins d'avoir un glaçon à la place du cœur : les sujets traités sont trop durs, trop bouleversants et abordés trop crûment pour laisser indifférent. Là où un film-distraction nous extirpe de la réalité pour un voyage de quelques heures, quand bien même il fait réfléchir, ici le film ne nous extirpe pas de la réalité : il nous prend par la nuque et nous y plonge jusqu'au cou. Alors pourquoi aller le voir ?




À mes yeux, la réponse est double. Le premier aspect est qu'il est bon, parfois, de se prendre une dose de réel dans la tronche. Ce n'est pas un sujet abordé souvent, ni un sujet facile ; on l'ignore souvent au quotidien. Mais c'est humainement important de le comprendre un peu, il me semble. D'autre part, ce n'est pas parce qu'on connaît un fait de manière abstrait, sur le papier, que l'on mesure ce que ça peut être de le vivre. Il ne s'agit pas ici de le vivre mais de le voir, mais on est déjà beaucoup plus proche de la réalité humaine tangible que lorsqu'on lit, impassible, dans un journal, des statistiques sur les femmes qui abandonnent leurs enfants dans des foyers pour qu'ils aient la chance qu'elles n'ont pas eu. On retrouve la au final tout ce qui fait l'intérêt d'un documentaire, même si ce film n'en est pas vraiment un...


Bref, au final, même si cette critique est un peu brute, sans une analyse détachée, et pleine d'opinions contestables (vos avis m'intéressent, d'ailleurs), et même si cet article finit sur la question partiellement répondue de "pourquoi aller le voir ?", j'encourage les gens au cœur solide d'aller le voir. Quelque part entre le documentaire et le drame, ce film est touchant et juste, extrêmement juste. Quelque part entre le coup de cœur et le coup de poing.

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