mardi 18 octobre 2011

The Binding of Isaac

Rares sont les gamers d'aujourd'hui ayant joué à Rogue : il faut dire que c'est un jeu sorti en 1980 qui tournait sur Unix, en ASCII-art... Le monde du jeu-vidéo a beaucoup évolué depuis cette époque. Mais Rogue était novateur et a donné naissance a une catégorie de jeux qu'on nomme donc depuis les Rogue-like. Le genre en lui-même est depuis un peu tombé en désuétude, laissant la place à des héritiers plus complexes (comme la série Diablo). The Binding of Isaac, à sa manière décalée, ressuscite le genre dans un grand melting-pot biblico-freudien gore et malsain.


Rogue était un jeu dans l'ambiance fantasy de Donjons & Dragons. Votre héros s'y battait à l'arc ou à l'épée, utilisait des sorts ou des parchemins magiques, le tout dans la quête d'une relique de grande valeur, l'amulette de Yendor. Il affrontait pour cela orcs et trolls, zombies et goules, en descendant progressivement les étages du "donjon". La première des deux grandes innovations de Rogue était que chaque étage du donjon était généré aléatoirement : les salles, leurs tailles, les couloirs qui y mènent, les pièges qui s'y cachent, les objets qu'on y trouve, les ennemis qu'on y combat... tout était aléatoire, donc différent d'une partie à une autre. La deuxième : la mort y était définitive. Pas de sauvegarde, pas de checkpoint, pas de résurrection. Si votre personnage meurt, votre partie est terminée, vos statistiques sont perdues, vous pouvez en recommencer une autre, au début...

Ces éléments, Isaac (j'abrège...) les reprend : on y parcourt un donjon, étage par étage, sur huit niveaux. Chaque niveau est plus grand et plus difficile que le précédent, mais tous sont générés aléatoirement. Et si par mégarde vous mourez... vous perdez tout et recommencez au début. Une partie complète ne durant rarement plus qu'une heure, le jeu s'offre le luxe de ne même pas fournir de moyen de sauvegarde ; on retrouve l'esprit des vieux Mario, « save the princess or die tryin' », si vous éteignez la console tout est perdu.

Le jeu fait par ailleurs référence à plusieurs grands jeux, tant dans le gameplay que dans la présentation. On pourrait citer par exemple les pilules que vous trouvez un peu partout, qui se comportent comme les potions de Rogue : tant que vous ne les avez pas essayées, vous n'avez aucun moyen de connaître leur effet... Beaucoup d'autres éléments font référence à la série Zelda : la barre de statut, la présentation des salles, le magasin, certains objets... L'action est quant à elle plus proche des vieux shoot 'em up : évitez les ennemis tout en les mitraillant... de vos larmes.


Car l'histoire est très éloignée de l'univers fantasy des jeux de référence. Ici, pas de quête épique, pas de précieuse relique, pas de princesse en détresse, pas de prophétie. Ici, juste un mélange malsain entre références religieuses et gore gratuit... Le titre du jeu est explicite : il fait explicitement référence à l'épisode biblique de la Ligature d'Isaac. Le jeu étant court et l'histoire n'étant qu'un prétexte, je me permets de tout détailler ici. La vidéo d'introduction explique rapidement la trame : la mère d'Isaac entend la voix de Dieu qui lui demande son fils en sacrifice. Elle s'empare d'un grand couteau de cuisine et rentre dans la chambre d'Isaac. Ce dernier, horrifié, ouvre la trappe qui mène à la cave et se jette dedans... Le jeu joue sur plusieurs niveaux de narration : il n'est pas facile de savoir ce qui est "réel" et ce qui n'a lieu que dans l'esprit d'Isaac (mais cette distinction n'est pas essentielle).

Le petit Isaac, terrorisé, explore donc la cave et s'enfonce dans les profondeurs, repoussant de ses abondantes larmes les monstruosités qui y vivent... Fœtus rampants, zombies affamés, organes autonomes, larves, mouches diverses... Les étages vont par deux, et chaque paire a son thème : aux deux niveaux de la "cave" succèdent les deux niveaux de la "grotte", eux-mêmes suivis des deux niveaux des "profondeurs". Le boss au terme de ces six étapes n'est autre que la mère d'Isaac elle-même, mère dont on ne voit que le pied adipeux lorsqu'elle cherche à écraser le minuscule Isaac de son talon.

Vous trouvez déjà ça malsain ? Attendez. Une fois ce boss battu pour la première fois, vous débloquez les deux derniers niveaux, avec le vrai boss et la vraie fin. Le nom de ces deux derniers niveaux ? « The womb », les entrailles, le ventre maternel. Le dernier boss ? Le cœur.


D'autre part, Isaac est régulièrement suggéré comme un enfant maltraité. Les animations entre chaque niveau le montrent pleurant dans son sommeil, se faisant humilier ou rejeter dans son cauchemar. L'objet "cuiller en bois" augmente la vitesse d'Isaac, mais fait apparaître des marques rouges sur son visage ; toute nourriture agrandit la barre de vie d'Isaac, dont la nourriture pour chien (désignée par « lunch ») ou les morceaux de viande pourrie ; la tête momifiée de feu le chien d'Isaac, une fois trouvée, augmente les larmes d'Isaac (et donc les dégâts qu'il inflige aux ennemis). Lorsque vous souhaitez quitter une partie, Isaac vous demande « are you sure you want me to die? »

En plus de cet aspect "freudien", on retrouve beaucoup de références religieuses ou ésotériques : parmi les objets que l'on peut trouver au hasard dans le jeu, il y a la Bible, le Necronomicon, le livre de Belial, un chapelet, une croix... Parmi les boss on retrouve les personnifications des sept péchés capitaux et des quatre cavaliers de l'Apocalypse... Il est parfois possible de faire des pactes avec le diable et de sacrifier une partie de sa barre de vie en échange de pouvoirs interdits... Les déguisements qu'Isaac peut porter (les personnages alternatifs) incluent Magdalene, Cain et Judas ; ce dernier commence le jeu avec trois pièces dans son inventaire...

Et très étrangement, comme vous l'aurez vu dans les images ci-dessus, tout ce jeu est dans un style très "cartoon". Pire : il tombe même volontairement à pieds joints dans l'humour bas de gamme caca-pipi. Ce décalage entre le contenu et sa représentation contribue à rendre le jeu encore plus dérangeant... On retrouve vraiment dans le jeu le style et les dessins d'Edmund McMillen, dont je parlais dans l'article sur Time Cfuk ; ceux qui ont joué à Super Meat Boy reconnaîtront.

Enfin, comme dans Super Meat Boy, le jeu est formidablement accompagné par la musique de Danny Baranowsky. La bande-son est beaucoup plus calme que celle de Meat Boy, ce qui contribue pour beaucoup à l'ambiance. Certains remixs, par contre, n'hésitent pas à y réintroduire un peu d'énergie... La bande-son est écoutable ici et peut être achetée pour un dollar.


Bref, The Binding of Isaac est un ovni. On se demande un peu à quelles drogues les créateurs tournaient lorsqu'ils ont pondu cette création improbable... En tout cas, le jeu est à mes yeux absolument génial, ludiquement parlant ; l'aspect très "arcade" des courtes parties est extrêmement addictif : après chaque échec on a envie de réessayer en espérant avoir plus de chance et obtenir de meilleurs objets... et lorsqu'on obtient une combinaison overkill et qu'on traverse le jeu avec facilité, on a envie de tester de nouvelles combinaisons : la rejouabilité est infinie. Qui plus est, le jeu débloque de nouveaux objets ou de nouveaux modes à chaque fois qu'on réussit à le finir...

Par contre, aspect technique : c'est du Flash (développé en AS3 pour être exact), donc du mono-cœur pas accéléré graphiquement. Autrement dit, le jeu n'a à sa disposition qu'une fraction de la puissance totale dont dispose un ordinateur actuel. Conséquence logique : le jeu rame parfois un peu... Les développeurs parlent d'en refaire une version en C et mettent le jeu à jour gratuitement (une update est d'ailleurs prévue pour Halloween ; nouveaux objets, nouveaux personnages) ; les quelques faiblesses techniques seront donc probablement corrigées.

Je ne saurais donc trop vous recommander d'y jouer. Si vous voulez vous faire la main, une démo gratuite est disponible sur Newgrounds. Si la démo vous plaît et que vous voulez plonger plus profondément dans l'univers malsain d'Isaac, il n'est vendu sur Steam que pour cinq euros. On y trouve aussi un trailer très étrange qui mélange images du jeu et acteurs déformés ; un autre trailer plus classique est visible ici. Enfin, si vous voulez suivre l'actualité du jeu, Edmund McMillen tient un blog mis à jour de temps en temps.

2 commentaires:

  1. A première vue, le gameplay est bien !
    Potentiellement mieux avec un gamepad, je sais pas si c'est possible.

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  2. Pas directement dans le jeu ; il faut passer par un programme externe comme Joy2Key. À titre personnel, le clavier me va très bien : ZQSD pour se déplacer, les flèches pour tirer.

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